Succès de prestige et miracle éditorial

Au début des années 1950, c’est-à-dire à l’orée de la démocratisation culturelle et des loisirs, le Seuil lance des séries de vulgarisation, illustrées et au format de poche. Elles sont consacrées à divers domaines du savoir. La littérature d’abord, avec «  Écrivains de toujours  », puis la découverte des pays étrangers, «  Petite planète  », la musique, «  Solfèges  », les religions, «  Maîtres spirituels  », l’histoire, «  Le Temps qui court  » et l’innovation scientifique, «  Rayon de la science  ». Rassemblées sous le nom «  Microcosme  » en 1956, ces séries permettent de recruter des auteurs mais aussi des lecteurs, de doter la maison d’une image jeune et moderne et d’accroître la visibilité de la marque auprès des libraires et des éditeurs étrangers.
Même si le Seuil enregistre quelques succès, la publication de Giovanni Guareschi décuple cet essor. La série des aventures de Don Camillo et de Peponne, dont le ton léger fait écho aux lourdes incertitudes de la guerre froide, connaît d’énormes ventes.

L'œuvre de François-Régis Bastide est décisive pour le Seuil, tant ses réseaux littéraires et mondains sont étendus. De 1953 jusqu’en 1981, tout en publiant ses romans au Seuil, il en est un éditeur important, il a notamment inventé et développé la collection « Solfèges ».

Le responsable de la série « Le Temps qui court », Michel Chodkiewicz, recrute des auteurs issus des nouveaux courants de la recherche historique. Il s’agit d’allier « nécessité pédagogique » et « vérité scientifique ». Entré au Seuil comme lecteur de manuscrits, Michel Chodkiewicz en devient vite un éditeur majeur.

« Rayon de la science » bénéficie du savoir-faire de son créateur, Étienne Lalou. Romancier au Seuil avec Les Bonnes Actions (1948), il est depuis 1953 en charge d’émissions télévisées sur l’innovation scientifique. Selon lui, la science n’est pas une « œuvre figée » mais « une grande aventure humaine en plein développement et qui débouche sur l’avenir ».
Document adressé par Jean Bardet et Paul Flamand à Albert Béguin en décembre 1949. Il s’agit de la première ébauche de la série qui deviendra « Écrivains de toujours ». Albert Béguin participe à son élaboration. Lorsqu’il s’éloigne du Seuil pour diriger la revue Esprit, c’est Francis Jeanson, auteur de Signification humaine du rire en 1950 au Seuil (« collection Esprit ») et proche de Jean Paul Sartre, qui lui succède.
Lettre de Francis Jeanson à Gaëtan Picon au sujet de la ligne éditoriale de la série « Écrivains de toujours », 3 avril 1952. Francis Jeason permet au Seuil de recruter de jeunes critiques en vue pour réaliser ces petits livres : André Parinaud, Roger Stéphane ou Pascal Pia... Il parvient à convaincre les grands écrivains de la prestigieuse maison Gallimard d’accepter qu’un volume leur soit consacré.
Lettre d’Odette Arnaud, 12 octobre 1950, directrice d’une très importante agence littéraire, qui propose au Seuil d’acheter les droits de Picolo mondo de Don Camillo de Giovanni Guareschi.

Essais de couvertures pour Giovanni Guareschi, Le Petit Monde de Don Camillo (1953).
À propos de « Petite Planète », son éditeur, Chris Marker écrit : « Cet engouement du lecteur pour la connaissance du monde, ce n’est pas le signe qu'il s’est brusquement découvert pour les autres nations une curiosité longtemps sommeillante : c’est plutôt qu’il a compris que leur connaissance était une étape, une composante indispensable de la connaissance de soi-même. Ce n’est pas le Français qui a changé : c’est la géographie » « Petite planète », 27, rue Jacob, été 1954).

« Maîtres spirituels », consacrée aux grandes figures de la vie religieuse, est dirigée par Paul-André Lesort. Proche des milieux catholiques progressistes, Lesort est romancier et dirigera le service de presse du Seuil avant de s’occuper du secteur religieux.