Comprendre et analyser son temps

Jean Bardet et Paul Flamand se sont engagés dans l’édition pour comprendre leur temps et tenter, par l’intermédiaire des auteurs et des éditeurs qu’ils recrutaient, de participer à la confrontation des idées, des convictions et des valeurs. Autant que dans les domaines littéraires, mais de manière plus évidente encore, la publication d’essais et de documents, d’ouvrages de sciences humaines, de biographies ou de Mémoires répond à cette vocation fondatrice du Seuil.
Cette part du catalogue, qui connaît un essor notable dans les années 1960 et 1970, est particulièrement liée à son époque.
Plus largement, elle est le reflet de plusieurs décennies de débat d’idées. Le Seuil dans le vif de l’histoire…

Lionel Stoleru, L’Impératif industriel (1969). Animé par Robert Fossaert, puis par Edmond Blanc, ce secteur repose sur plusieurs collections, dont « Sociétés ».

Richard Sennet, La Tyrannie de l’intimité (1979). Elève d’Erik H. Erikson, le psycho-sociologue américain Richard Sennet propose, à partir des manifestations de la civilité, une étude sur les relations entre sphère privée et sphère publique.

Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’Acteur et le système. Les contraintes de l’action collective (1977, collection « Sociologie politique »). À la fin des années 1950, Michel Crozier s’éloigne du marxisme pour se pencher sur les questions des relations humaines dans les organisations. Il a aussi publié au Seuil : Le Phénomène bureaucratique (1963) et La Société bloquée (1970).
Jean Lacouture, Le Vietnam entre deux paix (1965). C’est comme attaché de presse du Général Leclerc que Jean Lacouture séjourne en Indochine. Sur cette partie du monde, il publiera plusieurs essais dont Hô Chi Minh, (1967, réédité en 1976) et Viêt Nam, voyage à travers une victoire (1976, avec Simonne Lacouture).

Du sociologue Maxime Rodinson, Israël et le refus arabe. 75 ans d’histoire paru dans la collection de Jean Lacouture, « L’Histoire immédiate ».

Robert Solé, Le Défi terroriste. Leçons italiennes à l’usage de l’Europe (1979).
Après Le Degré zéro de l’écriture de l’écriture (1953), et Michelet dans la série « Écrivains de toujours » (1954), Roland Barthes publie dans la collection « Pierres Vives », Mythologies suivi de Le Mythe, aujourd’hui. Lié avec Tel quel, il poursuit une œuvre théorique dont S/Z(1970) est une étape déterminante.

Jacques Lacan, Séminaire III. Les Psychoses (1981). D’abord connu grâce à des notes, le contenu des séminaires faisait l’objet d’une diffusion restreinte. C’est Jacques Alain Miller qui sera chargé de leur édition; le premier volume paraît en 1964. Écrits, 1966, de Jacques Lacan : un événement intellectuel et un succès de librairie dont François Wahl est la cheville ouvrière dans un dialogue exigeant avec Jacques Lacan dont la collection « Le Champ freudien » sera aussi l’expression.
Parmi les premiers livres de « L’Ordre philosophique » que Paul Ricœur fonde au Seuil en 1964, avec François Wahl : De l’interprétation. Essai sur Freud (1965).

Lettre de Paul Ricœur à Paul Flamand, 21 janvier 1966.
La revue « Poétique », toujours active, est dirigée conjointement de 1970 à 1978 par Gérard Genette et Tzvetan Todorov. Elle occupe le terrain de la théorie littéraire. Complétée par une collection « Poétique », elle jouera un rôle important dans l’essor de cette approche de la littérature.

Nicolas Ruwet, Théorie syntaxique et syntaxe du français, 1972, première livraison de la collection « Travaux linguistiques » : la théorie générative-transformationelle de l’américain Noam Chomsky appliquée au cas du français.

Christopher Alexander, Une expérience démocratique d’architecture (1976). La collection « Espacements » animée par Françoise Choay connaît une dizaine de titres et privilégie une approche théorique de l’espace urbain avec les outils des sciences humaines.

L'ouvrage de Pierre Clastres est un des premiers titres de la série « Recherches anthropologiques » dirigée par Rémo Guidieri.
La constitution d’un domaine « historique » au Seuil est le fait de Jacques Julliard et Michel Winock. En 1970, ils fondent « L’univers historique », qui recourt à des historiens professionnels en restant ouverte à un public large. Cette collection ne s’interdit aucune époque et ne se revendique d’aucune école théorique. Auteur de près de vingt livres au Seuil, Michel Winock est aussi, à partir de 1971, l’animateur de « Points Histoire » et de la revue L’Histoire lancée en 1979 par la Société des Editions Scientifiques du Seuil.

Les Communards, le premier livre de Michel Winock au Seuil, écrit avec un autre jeune historien, Jean-Pierre Azéma, pour la collection « Le Temps qui court » (1964).

Parmi les titres de la série « L’Univers Historique », Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’ancien régime (1975), Patrick Fridenson, Histoires des Usines Renault. Naissance de la grande entreprise, 1898-1939 (1972) et nouvelle édition en « Points Histoire » (1997) de Robert Paxton, La France de Vichy (1940-1944), déjà paru en 1972.
Après « Rayon de la science », créée en 1959, la mise en place d’un domaine scientifique au Seuil emprunte plusieurs voies. Avec plusieurs scientifiques, au premier rang desquels Max Pavans de Ceccatty, André Warusfel et François Dagognet, la collection « Science ouverte » naît en 1966. Quelques années plus tard, le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond en prend les commandes. C’est alors d’abord la place sociale des scientifiques et le pouvoir de leur discours qui sont interrogés.

Document interne sur la collection « Science ouverte » au moment de sa reprise par Jean-Marc Levy-Leblond (janvier 1972).

Couverture d’Auto-critique de la science en Points (1975, 1er édition 1973).
Avec la collection « Combats », Claude Durand et son équipe - dont Jean-Baptiste Grasset et Sylvaine Pasquet – placent le Seuil au cœur des problématiques de cette période : scandales politiques, luttes pour l’indépendance, libertés des minorités, théories et contestations révolutionnaires sont la matière vivante de plus de 100 livres publiés de 1968 à 1978, année où Claude Durand quitte le Seuil.

Do It ! de Jerry Rubin (1971) présenté comme « la synthèse entre le courant hippie et le gauchisme des jeunes révoltionnaires blancs américains ».
Philosophe de formation (normalien et agrégé), Régis Debray publie de nombreux ouvrages au Seuil.

Denis Langlois, avocat est observateur judiciaire de plusieurs procès politiques en Grèce et en Afrique. Son ouvrage suscite plusieurs procès des pouvoirs publics.
Co-fondateur de la revue Tel Quel qu’il quitte en 1963, Jean-Edern Hallier publie aussi deux romans au Seuil.