« Les Empêcheurs de penser en rond » naissent du constat, fait en 1990, par le directeur de la communication d’une entreprise pharmaceutique d’un « déficit de débat dans le monde médical sur les questions d’ordre philosophique et sociologique ».
Philippe Pignarre, avec Isabelle Stengers et Léon Chertok, veulent y remédier. Ils parviennent à créer une structure d’édition spécialisée dans la médecine et les sciences sociales. En 2000, en rupture avec ce laboratoire dont l’actionnariat a changé, dotés d’une solide image de marque, « Les Empêcheurs de penser en rond » sont rachetés par le Seuil. L’objectif demeure de publier des « livres déstabilisants », à la fois militants et informés.
La réflexion sur les religions dans le catalogue des Éditions du Seuil a évolué. Plus réduite, 5 à 10 livres par an, elle est moins structurée que dans les années 1960 et 1970 sur les institutions religieuses, l’interprétation des textes sacrés, ou le rôle du magistère. Le thème de la confrontation des religions à la modernité demeure forte. La question du spirituel est devenue dominante. Celle de la recherche de la sagesse s’impose aussi.
Les éditeurs de ce domaine sont aujourd’hui plus attentifs aux approches liées à l’actualité politique et géopolitique, au social et recourent plus souvent aux témoignages. Pour d’autres, c’est l’explicitation de la complexité des religions qui s’impose et le refus d’une vision globalisante des phénomènes de croyances. Les spécialistes des sciences humaines (psychanalystes, philosophes, sociologue, historiens…) interrogent toujours les croyances. Leurs ouvrages cohabitent avec des présentations moins spécialisées.
En 1983, lorsque Michel Chodkiewicz recrute Hervé Hamon et Patrick Rotman, jeunes journalistes, notamment à Politique hebdo, formés à la philosophie et à l’histoire, il leur aurait dit « Je ne veux pas trop vous voir [au Seuil], sortez, voyagez, écrivez des livres et ramenez des auteurs ».
Leur collection « L’Épreuve des faits » se situe sur le terrain du contemporain, souvent des moments ou des objets qui soulèvent des interprétations passionnelles : la guerre d’Algérie, l’école, la « deuxième gauche », mai 1968… Elle adopte le parti pris de l’investigation minutieuse et de la communication aux lecteurs sur le mode du récit. Le domaine du livre politique participe d’une attention des éditeurs à l’actualité ainsi que d’une montée en puissance de la communication des hommes politiques. « L’Épreuve des faits » se poursuit sous la seule direction de Patrick Rotman. Ce domaine a été renforcé avec l’arrivée de Clarisse Cohen et Jean-Christophe Brochier.
Lorsqu’il a repris la série « Science ouverte » à la fin des années 1960, Jean-Marc Lévy Leblond a d’abord été attentif aux questionnements sur la place sociale des scientifiques et le pouvoir de leur discours. Il ne délaisse pas l’effort de vulgarisation dont les séries « Microcosme » et « Le Rayon de la science » étaient l’expression. Plus tard, avec la collaboration de Nicolas Witkowski,
« Science ouverte » se structure toujours autour de la question du partage de la science au moyen d’essais écrits dans ce but et, notamment, débarrassés du vocabulaire spécialisé. Le livre demeure, dans cette perspective, un outil irremplaçable. Un outil qui sert la critique. Dans un domaine éditorial difficile, « Science ouverte » affirme une indéniable singularité.
Après des études de droit et une riche carrière de grand reporter dans de nombreux pays du Tiers-Monde, il obtient le prix Albert Londres en 1972 alors qu’il écrit pour Sud-Ouest, Jean-Claude Guillebaud prend en 1979 la suite de Jean Lacouture à la tête de « L’Histoire immédiate ». S’il maintient les grandes lignes de la série, il l’oriente, en relation avec des émissions télévisuelles, vers les questions sociales et économiques. Simultanément à son métier d’éditeur, Jean-Claude Guillebaud expose ses convictions au moyen d’essais de synthèse consacrés à la crise des croyances et de la modernité.
La première livraison de la revue Le Genre humain paraît en 1981 chez Fayard. La collection « Textes du XXe siècle » est fondée chez Hachette quatre ans plus tard. Leur créateur, Maurice Olender, rejoint le Seuil en 1989. Il rebaptise sa collection « La librairie du XXe siècle », en référence à Montaigne et à une « connaissance ouverte sur le monde » qui est aussi une « interrogation sur soi ».
Écrivain, éditeur, chercheur et enseignant, Maurice Olender connaît une reconnaissance internationale avec Les Langues du paradis, une archéologie érudite des langues et des arbitraires qu’elles véhiculent. La collection accueille tous les savoirs et toutes les écritures sans jamais déserter le terrain politique. Une
« tension créatrice entre érudition et savoir sensible » est, pour Maurice Olender, nécessaire afin d’« élargir une démocratie dont on découvre tous les jours la
précarité ».